≡AAAAAAA | Le Réquisitionnaire | ← → |
«Tantôt ils lui voyaient, par un phénomène de vision ou de locomotion,
abolir l’espace dans ses deux modes de Temps et de Distance,
dont l’un est intellectuel et l’autre physique».
Hist. intell. de Louis Lambert.
À mon cher Albert Marchand de la Ribellerie.
Par un soir du mois de novembre 1793, les principaux personnages de Carentan
se trouvaient dans le salon de madame de Dey, chez laquelle l’assemblée se tenait tous les jours.
Quelques circonstances qui n’eussent point attiré l’attention d’une grande ville,
mais qui devaient fortement en préoccuper une petite, prêtaient à ce rendez-vous habituel un intérêt inaccoutumé.
La surveille, madame de Dey avait fermé sa porte à sa société, qu’elle s’était encore dispensée de recevoir la veille, en prétextant d’une indisposition.
En temps ordinaire, ces deux événements eussent fait à Carentan le même effet que produit à Paris un relâche à tous les théâtres.
Ces jours-là, l’existence est en quelque sorte incomplète. Mais, en 1793, la conduite de madame de Dey pouvait avoir les plus funestes résultats.
La moindre démarche hasardée devenait alors presque toujours pour les nobles une question de vie ou de mort.
Pour bien comprendre la curiosité vive et les étroites finesses
qui animèrent pendant cette soirée les physionomies normandes de tous ces personnages,
mais surtout pour partager les perplexités secrètes de madame de Dey, il est nécessaire d’expliquer le rôle qu’elle jouait à Carentan.
La position critique dans laquelle elle se trouvait en ce moment ayant été sans doute celle de bien des gens pendant la Révolution,
les sympathies de plus d’un lecteur achèveront de colorer ce récit.
Madame de Dey, veuve d’un lieutenant général, chevalier des ordres, avait quitté la cour au commencement de l’émigration.
Possédant des biens considérables aux environs de Carentan,
elle s’y était réfugiée, en espérant que l’influence de la terreur s’y ferait peu sentir.
Ce calcul, fondé sur une connaissance exacte du pays, était juste. La Révolution exerça peu de ravages en Basse-Normandie.
Quoique madame de Dey ne vît jadis que les familles nobles du pays
quand elle y venait visiter ses propriétés, elle avait, par politique, ouvert sa maison aux principaux bourgeois de la ville
et aux nouvelles autorités, en s’efforçant de les rendre fiers de sa conquête, sans réveiller chez eux ni haine ni jalousie.
Gracieuse et bonne, douée de cette inexprimable douceur qui sait plaire sans recourir à l’abaissement ou à la prière,
elle avait réussi à se concilier l’estime générale par un tact exquis dont les sages avertissements lui permettaient de se tenir sur la ligne délicate
où elle pouvait satisfaire aux exigences de cette société mêlée,
sans humilier le rétif amour-propre des parvenus, ni choquer celui de ses anciens amis.
Honoré de Balzac
Le Réquisitionnaire / The Recruit
Bilingual Edition
Translated by Katharine Prescott Wormeley
This is an enhanced ebook. Click or tap on the text to display the translation.
Both the original work and the translation are in the public domain. All rights for the aligned bilingual editions and for the amended translations are owned by Doppeltext.
We offer many other innovative bilingual titles. Visit www.doppeltext.com to learn more.
We welcome your feedback and questions.
Doppeltext
Igor Kogan & Tatiana Zelenska
Karwendelstr. 25
81369 Munich
Germany
+49-89-74 79 28 26
www.doppeltext.com
info@doppeltext.com
≡ | Le Réquisitionnaire | ← → |