Prosper

Mérimée

Carmen

Translated by Lady Mary Loyd
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CHAPITRE I

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

COLOPHON

Πᾶσα γυνὴ χόλος ἐστίν. ἔχει δ᾿ ἀγαθὰς δύο ὥρας.
Τὴν μίαν ἐν θαλάμῳ, τὴν μίαν ἐν θανάτῳ.
[Toute femme est comme le fiel;
mais elle a deux bonnes heures, une au lit, l’autre à sa mort.]

Pal­la­das

CHAPITRE I

J’avais tou­jours soup­çon­né les géo­graphes de ne sa­voir ce qu’ils disent
lors­qu’ils placent le champ de ba­taille de Mun­da dans le pays des Bas­tu­li-Pœni,
près de la mo­derne Mon­da, à quelque deux lieues au nord de Mar­bel­la.
D’après mes propres conjec­tures sur le texte de l’ano­nyme, au­teur du Bellum Hispaniense,
et quelques ren­sei­gne­ments re­cueillis dans l’ex­cel­lente bi­blio­thèque du duc d’Os­su­na,
je pensais qu’il fal­lait cher­cher aux en­vi­rons de Mon­tilla le lieu mé­mo­rable où, pour la der­nière fois, Cé­sar joua quitte ou double contre les cham­pions de la ré­pu­blique.
Me trou­vant en An­da­lou­sie au commen­ce­ment de l’au­tomne de 1830,
je fis une as­sez longue ex­cur­sion pour éclaircir les doutes qui me res­taient en­core.
Un mé­moire que je pu­blie­rai pro­chai­ne­ment ne lais­se­ra plus, je l’es­père, au­cune in­cer­ti­tude dans l’es­prit de tous les arc­héo­logues de bonne foi.
En at­ten­dant que ma dis­ser­ta­tion ré­solve en­fin le prob­lème géo­gra­phique
qui tient toute l’Eu­rope sa­vante en suspens, je veux vous ra­con­ter une pe­tite histoire;
elle ne pré­juge rien sur l’in­téres­sante question de l’em­pla­ce­ment de Mun­da.
J’avais loué à Cor­doue un guide et deux che­vaux,
et m’étais mis en cam­pagne avec les Commen­taires de Cé­sar et quelques che­mises pour tout ba­gage.
Cer­tain jour, er­rant dans la par­tie éle­vée de la plaine de Ca­che­na,
ha­ras­sé de fa­tigue, mou­rant de soif, brû­lé par un so­leil de plomb, je don­nais au diable de bon cœur Cé­sar et les fils de Pom­pée,
lorsque j’aper­çus as­sez loin du sen­tier que je suivais, une pe­tite pe­louse verte par­se­mée de joncs et de ro­seaux.
Cela m’an­non­çait le voi­si­nage d’une source.
En ef­fet, en m’ap­pro­chant, je vis que la pré­ten­due pe­louse était un ma­ré­cage
où se per­dait un ruis­seau, sor­tant, comme il sem­blait, d’une gorge étroite entre deux hauts contre­forts de la sier­ra de Ca­bra.
Je conclus qu’en re­mon­tant je trou­ve­rais de l’eau plus fraîche,
moins de sang­sues et de gre­nouilles, et peut-être un peu d’ombre au mi­lieu des ro­chers.
À l’ent­rée de la gorge, mon che­val hen­nit, et un autre che­val, que je ne voyais pas, lui ré­pon­dit aus­si­tôt.
À peine eus-je fait une cen­taine de pas que la gorge, s’élar­gis­sant tout à coup,
me montra une es­pèce de cirque na­tu­rel par­fai­te­ment om­bra­gé par la hau­teur des escar­pe­ments qui l’en­tou­raient.
Il était impos­sible de ren­con­trer un lieu qui pro­mit au voya­geur une halte plus agréable.
Au pied de ro­chers à pic, la source s’élan­çait en bouillon­nant, et tom­bait dans un pe­tit bas­sin ta­pis­sé d’un sable blanc comme la neige.
Cinq à six beaux chênes verts, tou­jours à l’abri du vent et ra­fraî­chis par la source,
s’éle­vaient sur ses bords, et la cou­vraient de leur épais om­brage;
en­fin, au­tour du bas­sin, une herbe fine, lus­t­rée, of­frait un lit meilleur qu’on n’en eût trou­vé dans au­cune au­berge à dix lieues à la ronde.
À moi n’appar­te­nait pas l’hon­neur d’avoir dé­cou­vert un si beau lieu. Un homme s’y re­po­sait déjà, et sans doute dor­mait, lorsque j’y pé­né­trai.
Ré­veillé par les hen­nis­se­ments, il s’était levé, et s’était rap­pro­ché de son che­val,
qui avait pro­fi­té du sommeil de son maître pour faire un bon re­pas de l’herbe aux en­vi­rons.
C’était un jeune gaillard de taille moyenne, mais d’apparence ro­buste, au re­gard sombre et fier.
Son teint, qui avait pu être beau, était de­ve­nu, par l’ac­tion du so­leil, plus fon­cé que ses che­veux.
D’une main il te­nait le li­col de sa mon­ture, de l’autre une espin­gole de cuivre.
J’avoue­rai que d’abord l’espin­gole et l’air fa­rouche du por­teur me sur­prirent quelque peu;
mais je ne croyais plus aux vo­leurs, à force d’en en­tendre par­ler et de n’en ren­con­trer jamais.
D’ailleurs, j’avais vu tant d’hon­nêtes fermiers s’armer jus­qu’aux dents pour al­ler au marc­hé,
que la vue d’une arme à feu ne m’au­to­ri­sait pas à mettre en doute la mo­ra­li­té de l’in­con­nu.
«Et puis, me di­sais-je, que fe­rait-il de mes che­mises et de mes Commen­taires El­vé­zir?»
Je sa­luai donc l’homme à l’espin­gole d’un signe de tête fa­mi­lier, et je lui de­man­dai en sou­riant si j’avais trou­blé son sommeil.
Sans me ré­pondre, il me toi­sa de la tête aux pieds;
puis, comme sa­tis­fait de son exa­men, il consi­dé­ra avec la même at­ten­tion mon guide, qui s’avan­çait.
Je vis ce­lui-ci pâ­lir et s’ar­rê­ter en montrant une ter­reur évi­dente. Mau­vaise ren­contre! me dis-je.
Mais la prudence me conseilla aus­si­tôt de ne lais­ser voir au­cune in­quié­tude.
Je mis pied à terre; je dis au guide de dé­bri­der, et, m’age­nouillant au bord de la source, j’y plon­geai ma tête et mes mains;
puis je bus une bonne gor­gée, cou­ché à plat ventre, comme les mau­vais sol­dats de Gé­déon.

Prosper Mérimée
Carmen
Bilingual Edition
Translated by Lady Mary Loyd

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