Nouvelles classiques

Klassische französische Erzählungen

Ausgewählt und übersetzt von Johanna Canetti
Synchronisation: Doppeltext

Titelblatt

Stendhal · Le coffre et le revenant

Honoré de Balzac · Une passion dans le désert

Gustave Flaubert · Matteo Falcone

Prosper Mérimée · La chambre bleue

Alphonse Daudet · Maison à vendre

George Sand · La fée aux gros yeux

Guy de Maupassant · Le bonheur

Jules Renard · La demande

I

II

III

Anatole France · Le jongleur de Notre-Dame

I

II

III

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Informationen zum Buch

Leseprobe: Charles Perrault, Contes de Fées

Impressum

Stendhal · Le coffre et le revenant

Aventure espagnole

Par une belle ma­ti­née du mois de mai 182., don Blas Bustos y Mos­que­ra, sui­vi de douze ca­va­liers, entrait dans le vil­lage d’Alco­lote, à une lieue de Gre­nade.
À son ap­proche, les pay­sans rentraient préci­pi­tam­ment dans leurs mai­sons et fer­maient leurs portes.
Les femmes re­gar­daient avec ter­reur par un pe­tit coin de leurs fe­nêtres ce ter­rible di­rec­teur de la po­lice de Gre­nade.
Le ciel a puni sa cruau­té en met­tant sur sa fi­gure l’em­preinte de son âme. C’est un homme de six pieds de haut, noir, et d’une ef­frayante mai­greur;
il n’est que di­rec­teur de la po­lice, mais l’évêque de Gre­nade lui-même et le gou­ver­neur tremblent de­vant lui.
Du­rant cette guerre sublime contre Napo­léon,
qui, aux yeux de la posté­ri­té, pla­ce­ra les Espa­gnols du dix-neuvième siècle avant tous les autres peuples de l’Eu­rope, et leur don­ne­ra le se­cond rang après les Fran­çais,
don Blas fut l’un des plus fameux chefs de gué­rillas.
Quand sa troupe n’avait pas tué au moins un Fran­çais dans la jour­née, il ne cou­chait pas dans un lit: c’était un vœu.
Au re­tour de Fer­di­nand, on l’en­voya aux ga­lères de Ceu­ta, où il a pas­sé huit an­nées dans la plus hor­rible mi­sère.
On l’ac­cu­sait d’avoir été ca­pucin dans sa jeu­nesse, et d’avoir jeté le froc aux or­ties.
En­suite il rentra en grâce, on ne sait com­ment. Don Blas est cé­lèbre mainte­nant par son si­lence; jamais il ne parle.
Au­tre­fois les sar­casmes qu’il adres­sait à ses pri­son­niers de guerre avant de les faire pendre lui avaient acquis une sorte de ré­pu­ta­tion d’es­prit:
on ré­pé­tait ses plai­san­te­ries dans toutes les ar­mées espa­gnoles.
Don Blas s’avan­çait len­te­ment dans la rue d’Alco­lote, re­gar­dant de côté et d’autre les mai­sons avec ses yeux de lynx.
Comme il pas­sait de­vant l’église on son­na une messe;
il se préci­pi­ta de che­val plu­tôt qu’il n’en descen­dit, et on le vit s’age­nouiller au­près de l’au­tel.
Quatre de ses gen­darmes se mirent à ge­noux au­tour de sa chaise; ils le re­gar­dèrent, il n’y avait déjà plus de dé­vo­tion dans ses yeux.
Son œil si­nistre était fixé sur un jeune homme d’une tour­nure fort distin­guée qui priait dé­vo­te­ment à quelques pas de lui.
«Quoi! se di­sait don Blas, un homme qui, suivant les apparences, appar­tient aux pre­mières classes de la so­cié­té n’est pas connu de moi!
Il n’a pas paru à Gre­nade de­puis que j’y suis! Il se cache.»
Don Blas se pen­cha vers un de ses gen­darmes, et don­na l’ordre d’ar­rê­ter le jeune homme dès qu’il se­rait hors de l’église.
Aux der­niers mots de la messe, il se hâta de sor­tir lui-même, et alla s’éta­blir dans la grande salle de l’au­berge d’Alco­lote. Bien­tôt pa­rut le jeune homme éton­né.
– Votre nom?
– Don Fer­nan­do de la Cue­va.
L’humeur si­nistre de don Blas fut aug­men­tée, parce qu’il re­mar­qua, en le voyant de près, que don Fer­nan­do avait la plus jo­lie fi­gure;
il était blond, et, mal­gré la mau­vaise passe où il se trou­vait, l’ex­pres­sion de ses traits était fort douce.
Don Blas re­gar­dait le jeune homme en rê­vant.
– Quel em­ploi aviez-vous sous les Cor­tés? dit-il en­fin.
– J’étais au col­lège de Sé­ville en 1823; j’avais alors quinze ans, car je n’en ai que dix-neuf au­jourd’hui.
– Com­ment vi­vez-vous?
Le jeune homme pa­rut ir­ri­té de la gros­siè­re­té de la question; il se ré­si­gna et dit:
– Mon père, bri­ga­dier des ar­mées de don Car­los Cuar­to (que Dieu bénisse la mé­moire de ce bon roi!), m’a lais­sé un pe­tit do­maine près de ce vil­lage;
il me rap­porte douze mille réaux (trois mille francs); je le cultive de mes propres mains avec trois do­mestiques.
– Qui vous sont fort dé­voués sans doute. Ex­cellent noyau de gué­rilla, dit don Blas avec un sou­rire amer.
«En pri­son et au se­cret!» ajou­ta-t-il en s’en al­lant, et lais­sant le pri­son­nier au mi­lieu de ses gens.
Quelques mo­ments après, don Blas dé­jeu­nait.
«Six mois de pri­son, pensait-il, me fe­ront justice de ces belles cou­leurs et de cet air de fraî­cheur et de conten­te­ment inso­lent.»
Le ca­va­lier en sen­ti­nelle à la porte de la salle à man­ger haus­sa vi­ve­ment sa ca­ra­bine.
Il l’ap­puyait par tra­vers contre la poi­trine d’un vieillard qui cher­chait à entrer dans la salle à la suite d’un aide de cui­sine ap­por­tant un plat.
Don Blas cou­rut à la porte; der­rière le vieillard, il vit une jeune fille qui lui fit ou­blier don Fer­nan­do.
– Il est cruel qu’on ne me donne pas le temps de prendre mes re­pas, dit-il au vieillard; entrez ce­pen­dant, ex­pli­quez-vous.
Don Blas ne pou­vait se las­ser de re­gar­der la jeune fille;
il trou­vait sur son front et dans ses yeux cette ex­pres­sion d’innocence et de pié­té céleste qui brille dans les belles ma­dones de l’école ita­lienne.
Don Blas n’écou­tait pas le vieillard et ne conti­nuait pas son dé­jeu­ner.
En­fin il sor­tit de sa rê­ve­rie; le vieillard ré­pé­tait pour la troi­sième ou qua­trième fois les rai­sons
qui de­vaient faire rendre la li­ber­té à don Fer­nan­do de la Cue­va, qui était de­puis long­temps le fian­cé de sa fille Inès ici pré­sente, et al­lait l’épou­ser le di­manche suivant.
À ce mot, les yeux du ter­rible di­rec­teur de po­lice brillèrent d’un éclat si extra­or­di­naire, qu’ils firent peur à Inès et même à son père.
– Nous avons tou­jours vécu dans la crainte de Dieu et sommes de vieux chrétiens, conti­nua ce­lui-ci;
ma race est antique, mais je suis pauvre, et don Fer­nan­do est un bon par­ti pour ma fille.
Jamais je n’exer­çai de place du temps des Fran­çais, ni avant, ni de­puis.
Don Blas ne sor­tait point de son si­lence fa­rouche.
– J’appar­tiens à la plus an­cienne noblesse du royaume de Gre­nade, re­prit le vieillard; et, avant la ré­vo­lu­tion, ajou­ta-t-il en sou­pi­rant,
j’au­rais cou­pé les oreilles à un moine inso­lent qui ne m’eût pas ré­pon­du quand je lui parle.
Les yeux du vieillard se rem­plirent de larmes.
La ti­mide Inès tira de son sein un pe­tit cha­pe­let qui avait tou­ché la robe de la ma­done del pi­lar,
et ses jo­lies mains en ser­raient la croix avec un mou­ve­ment convul­sif.
Les yeux du ter­rible don Blas s’at­tac­hèrent sur ces mains. Il re­mar­quait en­suite la taille bien prise, quoique un peu forte de la jeune Inès.
«Ses traits pour­raient être plus ré­gu­liers, pensa-t-il; mais cette grâce céleste, je ne l’ai jamais vue qu’à elle.»
– Et vous vous ap­pe­lez don Jaime Ar­re­gui? dit-il en­fin au vieillard.
– C’est mon nom, ré­pon­dit don Jaime en as­surant sa po­si­tion.
– Âgé de soixante et dix ans?
– De soixante-neuf seule­ment.
– C’est vous, dit don Blas en se dé­ri­dant vi­si­ble­ment; je vous cherche de­puis long­temps.
Le roi notre Sei­gneur a dai­gné vous ac­cor­der une pen­sion an­nuelle de quatre mille réaux (mille francs).
J’ai chez moi, à Gre­nade, deux an­nées échues de ce royal bien­fait, que je vous re­met­trai de­main à midi.
Je vous fe­rai voir que mon père était un riche la­bou­reur de la vieille Castille, vieux chrétien comme vous,
et que jamais je ne fus moine. Ain­si l’in­jure que vous m’avez adres­sée tombe à faux.
Le vieux gen­til­homme n’osa man­quer au ren­dez-vous. Il était veuf, et n’avait chez lui que sa fille Inès.
Avant de par­tir pour Gre­nade il la condui­sit chez le curé du vil­lage, et fit ses dispo­si­tions comme si jamais il ne de­vait la re­voir.
Il trou­va don Blas Bustos fort paré; il por­tait un grand cor­don par-des­sus son ha­bit.
Don Jaime lui trou­va l’air poli d’un vieux sol­dat qui veut faire le bon et sou­rit à tout pro­pos et hors de pro­pos.
S’il eût osé, don Jaime eût re­fu­sé les huit mille réaux que don Blas lui re­mit; il ne put se dé­fendre de dî­ner avec lui.
Après le re­pas, le ter­rible di­rec­teur de po­lice lui fit lire tous ses bre­vets, son extrait de bap­tême,
et même un acte de no­to­rié­té, au moyen du­quel il était sor­ti des ga­lères, et qui prou­vait que jamais il n’avait été moine.
Don Jaime crai­gnait tou­jours quelque mau­vaise plai­san­te­rie.
– J’ai donc qua­rante-trois ans, lui dit en­fin don Blas, une place ho­no­rable qui me vaut cin­quante mille réaux.
J’ai un re­ve­nu de mille onces sur la banque de Naples. Je vous de­mande en ma­riage votre fille doña Inès Ar­re­gui.
Don Jaime pâ­lit. Il y eut un mo­ment de si­lence. Don Blas re­prit:
– Je ne vous ca­che­rai pas que don Fer­nan­do de la Cue­va se trouve com­pro­mis dans une fâ­cheuse af­faire.
Le mi­nistre de la po­lice le fait re­cher­cher, il s’agit pour lui de la ga­rotte (manière d’étran­gler em­ployée pour les nobles) ou tout au moins des ga­lères.
J’y ai été huit an­nées, et je puis vous as­su­rer que c’est un vi­lain sé­jour. (En di­sant ces mots il s’ap­pro­cha de l’oreille du vieillard.)
D’ici à quinze jours ou trois se­maines, je re­ce­vrai pro­ba­ble­ment du mi­nistre l’ordre de faire trans­férer don Fer­nan­do de la pri­son d’Alco­lote à celle de Gre­nade.
Cet ordre sera exécu­té fort tard dans la soi­rée;
si don Fer­nan­do pro­fite de la nuit pour s’échap­per, je ferme­rai les yeux, par consi­dé­ra­tion pour l’ami­tié dont vous l’ho­no­rez.
Qu’il aille pas­ser un an ou deux à Ma­jorque, par exemple, per­sonne ne lui dira plus haut que son nom.
Le vieux gen­til­homme ne ré­pon­dit point, il était at­ter­ré, et eut beau­coup de peine à re­ga­gner son vil­lage.
L’ar­gent qu’il avait reçu lui fai­sait hor­reur.
«Est-ce donc, se di­sait-il, le prix du sang de mon ami don Fer­nan­do, du fian­cé de mon Inès?»
En ar­rivant au pres­by­tère, il se jeta dans les bras d’Inès:
– Ma fille, s’écria-t-il, le moine veut t’épou­ser!
Bien­tôt Inès sé­cha ses larmes et de­man­da la permis­sion d’al­ler consul­ter le curé, qui était dans l’église, à son confes­sion­nal.
Mal­gré l’in­sen­si­bi­li­té de son âge et de son état, le curé pleu­ra.
Le résul­tat de la consul­ta­tion fut qu’il fal­lait se ré­soudre à épou­ser don Blas, ou dans la nuit prendre la fuite.
Doña Inès et son père de­vaient es­sayer de ga­gner Gib­ral­tar et s’em­bar­quer pour l’An­gle­terre.
– Et de quoi y vi­vrons-nous? dit Inès.
– Vous pour­riez vendre votre mai­son et le jar­din.
– Qui l’achè­te­ra? dit la jeune fille fon­dant en larmes.
– J’ai des éco­no­mies, dit le curé, qui peuvent mon­ter à cinq mille réaux;
je vous les donne, ma fille, et de grand cœur, si vous ne croyez pas pou­voir faire votre sa­lut en épou­sant don Blas Bustos.

Originalausgabe
2013 Deutscher Taschenbuch Verlag GmbH & Co. KG, München

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ISBN der gedruckten Ausgabe 978-3-423-09469-6

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